Imaginez une petite association de quartier, dédiée à l’alphabétisation des adultes, qui voit ses activités florissantes grâce à un financement obtenu via un appel à projets. Ou, à l’inverse, pensez à une autre association, engagée dans la lutte contre l’isolement des personnes âgées, qui se retrouve submergée par les contraintes administratives d’un appel à projets, au point de délaisser le contact direct avec ses bénéficiaires. Ces deux scénarios illustrent la complexité de la relation entre les associations locales et les appels à projets.

Les appels à projets (AAP) représentent une source de financement cruciale pour de nombreuses associations locales, leur permettant de développer des actions concrètes au service de leur communauté. Ils consistent en une procédure par laquelle des organismes publics ou privés sollicitent des propositions de projets répondant à des objectifs précis. Cependant, la question se pose de savoir si cette course aux financements favorise réellement le lien social entre les associations et leur public, ou si elle peut au contraire l’éloigner de ses valeurs fondamentales et de ses missions initiales.

Les appels à projets : un levier de développement et de professionnalisation

Les appels à projets offrent aux associations locales une multitude d’opportunités pour se développer, se professionnaliser et étendre leur impact sur le terrain. Grâce à ces dispositifs, les associations peuvent accéder à des financements souvent indispensables pour mener à bien leurs actions, améliorer leur visibilité et renforcer leur crédibilité auprès de leurs partenaires. Voyons plus en détail les avantages que les AAP peuvent apporter.

Opportunités de financement et de visibilité

L’accès à des sources de financement diversifiées est sans doute l’avantage le plus évident des appels à projets. Les associations peuvent ainsi solliciter des fonds auprès d’organismes publics (État, collectivités territoriales), de fondations privées ou encore d’entreprises mécènes. Cette diversification des sources de financement permet aux associations de ne pas dépendre d’un seul financeur, et de gagner en autonomie. De plus, les appels à projets offrent une visibilité accrue aux associations, en leur permettant de communiquer sur leurs actions et de se faire connaître auprès d’un public plus large.

  • Accès à des sources de financement diversifiées (public, privé, fondations…).
  • Amélioration de la visibilité de l’association et de ses actions.
  • Renforcement de la crédibilité auprès des partenaires et des financeurs.

Structuration et professionnalisation des associations

Participer à un appel à projets implique pour l’association de formaliser ses objectifs, ses actions et ses indicateurs d’impact. Cette démarche, bien que parfois contraignante, permet à l’association de structurer son projet de manière cohérente et de définir des objectifs clairs et mesurables. De plus, les AAP incitent les associations à améliorer leurs compétences en gestion de projet, en communication et en recherche de financement. Cette professionnalisation, bien que nécessaire, peut parfois éloigner les associations de leur vocation initiale et de leurs valeurs fondamentales.

  • Obligation de formaliser les objectifs, les actions et les indicateurs d’impact.
  • Amélioration des compétences en gestion de projet, en communication et en recherche de financement.
  • Renforcement de la gouvernance et de la transparence.

Développement de partenariats et de réseaux

Les appels à projets encouragent souvent la collaboration entre différents acteurs locaux, tels que les associations, les collectivités territoriales et les entreprises. Cette collaboration permet de créer des synergies et d’échanger des bonnes pratiques, renforçant ainsi le tissu associatif local. Par exemple, un projet d’insertion professionnelle peut être porté conjointement par une association, une entreprise et une collectivité territoriale, chacun apportant ses compétences et ses ressources. Ces partenariats permettent de mutualiser les efforts et d’optimiser l’impact des actions menées. Le développement de partenariats est un autre avantage significatif des appels à projets, permettant aux associations de s’inscrire durablement dans leur écosystème local.

Le tableau ci-dessous illustre les types de partenariat possibles dans le cadre d’un appel à projets :

Type de partenaire Apport au projet Exemple d’action
Association Expertise métier, connaissance du terrain Animation d’ateliers, accompagnement des bénéficiaires
Collectivité territoriale Financement, mise à disposition de locaux Soutien financier, prêt de salles de réunion
Entreprise Mécénat financier, compétences techniques Don de matériel, parrainage de projets
  • Les AAP incitent souvent à la collaboration avec d’autres acteurs locaux (associations, collectivités, entreprises…).
  • Création de synergies et d’échanges de bonnes pratiques.
  • Renforcement du tissu associatif local.

Les effets pervers des appels à projets : un risque d’éloignement du lien social

Si les appels à projets peuvent être un véritable tremplin pour les associations locales, ils peuvent également induire des effets pervers, en les éloignant de leur public et de leurs valeurs fondamentales. La course aux financements, la complexité administrative et la distance entre financeurs et bénéficiaires sont autant de risques à prendre en compte. Décortiquons ces aspects négatifs.

La course aux financements et la dénaturation des projets

La pression pour adapter les projets aux thématiques et aux critères des AAP peut conduire les associations à dénaturer leurs actions, au détriment des besoins réels du terrain. Par exemple, une association spécialisée dans l’aide alimentaire pourrait être tentée de proposer un projet axé sur la lutte contre le gaspillage alimentaire, afin de répondre aux priorités d’un financeur, même si les besoins les plus urgents de ses bénéficiaires concernent l’accès à des produits de base. Ce risque de « sur-promesse » pour obtenir les financements peut également conduire les associations à s’engager sur des objectifs irréalistes, qu’elles auront du mal à atteindre.

La complexité administrative et la charge de travail

Les processus de candidature aux appels à projets sont souvent complexes et chronophages, accaparant les bénévoles et les petites associations. Remplir les dossiers de candidature, rédiger les rapports d’activité, justifier les dépenses… toutes ces tâches administratives peuvent représenter une charge de travail considérable, au détriment du temps consacré aux actions de proximité. De plus, les associations les plus petites ou les moins structurées peuvent se sentir découragées face à la complexité des démarches, et renoncer à solliciter des financements.

La distance entre financeurs et bénéficiaires

Les critères d’évaluation des projets sont parfois déconnectés des réalités du terrain et des besoins des populations. Les financeurs peuvent privilégier des indicateurs quantitatifs (nombre de bénéficiaires, nombre d’ateliers organisés), au détriment des aspects qualitatifs de l’impact social (bien-être, lien social, empowerment…). Ce manque de dialogue et de suivi des projets par les financeurs peut conduire à une stigmatisation ou une dévalorisation des actions de proximité, qui sont souvent moins visibles et moins faciles à mesurer.

L’effet « vitrine » des AAP et le délaissement de l’invisible

Une tendance préoccupante est la préférence pour les actions facilement mesurables et médiatisables, au détriment des actions de proximité quotidiennes, souvent moins visibles mais cruciales pour le lien social. Les appels à projets peuvent ainsi inciter les associations à concentrer leurs ressources sur des « projets phares », au détriment des actions de base, telles que l’accueil des bénéficiaires, l’écoute de leurs besoins et le soutien personnalisé. Cette focalisation sur les actions « vitrine » peut avoir des conséquences négatives sur la qualité de l’accompagnement et sur la pérennité des liens de confiance entre les associations et leur public. Les actions invisibles, comme le travail en réseau avec d’autres associations locales ou la formation des bénévoles, sont souvent négligées, car elles ne génèrent pas de résultats immédiats et mesurables.

Le tableau ci-dessous illustre la répartition du financement pour un programme fictif d’accompagnement social :

Type d’activité Pourcentage du financement total
Ateliers de formation (mesurable) 50%
Suivi individuel (moins mesurable) 30%
Coordination et travail en réseau (peu visible) 20%

Ce tableau montre que les activités les plus facilement mesurables, comme les ateliers de formation, attirent la majeure partie du financement, potentiellement au détriment du suivi individuel et du travail en réseau, pourtant essentiels à la réussite du programme.

Réconcilier appels à projets et proximité : des pistes d’amélioration

Il est possible de concilier les avantages des appels à projets et la nécessité de préserver le lien social entre les associations et leur public. Pour cela, il est indispensable d’adapter les AAP aux réalités du terrain, de renforcer l’accompagnement des associations et de développer une culture de l’évaluation plus qualitative. Explorons ces pistes d’amélioration.

Des AAP plus adaptés aux réalités du terrain

La simplification des procédures de candidature et de suivi est une priorité. Les dossiers de candidature devraient être allégés et les critères d’évaluation devraient être plus transparents et plus pertinents. Il est également important de développer des AAP thématiques plus spécifiques et plus proches des préoccupations locales, en concertation avec les associations et les collectivités territoriales. Par exemple, un AAP pourrait être dédié à la lutte contre l’isolement des personnes âgées dans un quartier spécifique, en tenant compte des particularités de ce quartier et des besoins de ses habitants. Il existe des initiatives prometteuses, comme les « budgets participatifs » mis en place par certaines collectivités, qui permettent aux habitants de décider directement de l’affectation d’une partie du budget communal à des projets associatifs locaux.

  • Simplification des procédures de candidature et de suivi.
  • Développement d’AAP thématiques plus spécifiques et plus proches des préoccupations locales.
  • Prise en compte de la diversité des associations et de leurs besoins spécifiques.

Renforcement de l’accompagnement des associations

Un accompagnement personnalisé des associations dans la conception et la gestion de leurs projets est indispensable. Cet accompagnement pourrait prendre la forme de conseils juridiques, de formations sur la recherche de financement, la gestion de projet et la communication, ou encore de mises en relation avec d’autres acteurs locaux. Les plateformes d’accompagnement associatif, comme France Bénévolat, jouent un rôle essentiel dans ce domaine. De plus, il est important de faciliter la mise en réseau des associations et des financeurs, en organisant des rencontres et des événements d’échange. Certaines régions ont mis en place des « guichets uniques » pour faciliter l’accès des associations aux informations et aux dispositifs de soutien existants.

  • Offrir un accompagnement personnalisé aux associations dans la conception et la gestion de leurs projets.
  • Proposer des formations sur la recherche de financement, la gestion de projet et la communication.
  • Faciliter la mise en réseau des associations et des financeurs.

Développer une culture de l’évaluation plus qualitative

Au-delà des indicateurs quantitatifs, il est essentiel de prendre en compte les aspects qualitatifs de l’impact social, tels que le bien-être, le lien social et l’empowerment. L’évaluation des projets devrait impliquer les bénéficiaires, afin de recueillir leur point de vue et de mesurer l’impact réel des actions menées sur leur vie. Une approche partenariale et collaborative de l’évaluation, associant les financeurs, les associations et les bénéficiaires, permettrait de mieux comprendre les enjeux et de tirer des enseignements utiles pour l’avenir. Des méthodes d’évaluation innovantes, comme les « récits de vie » ou les « cartographies d’impact », permettent de mieux rendre compte de la complexité des réalités sociales et des effets à long terme des actions associatives.

  • Au-delà des indicateurs quantitatifs, prendre en compte les aspects qualitatifs de l’impact social (bien-être, lien social, empowerment…).
  • Impliquer les bénéficiaires dans l’évaluation des projets.
  • Privilégier une approche partenariale et collaborative de l’évaluation.

Valoriser les « petits projets » et les initiatives citoyennes

Une piste prometteuse consiste à créer des fonds de soutien dédiés aux « petits projets » et aux initiatives citoyennes, souvent exclus des AAP traditionnels. Ces fonds pourraient être alimentés par des dispositifs de financement participatif et de mécénat de proximité, permettant aux habitants de soutenir directement les actions qui leur tiennent à cœur. Il est également important de reconnaître et de valoriser l’importance du bénévolat et de l’engagement citoyen, qui sont des piliers essentiels du tissu associatif local.

Un équilibre essentiel

Les appels à projets représentent un outil ambivalent pour les associations locales. Ils offrent des opportunités de financement et de structuration, mais peuvent également induire des effets pervers, en éloignant les associations de leur public et de leurs valeurs fondamentales. Il est donc crucial de repenser les modalités de financement des associations locales, afin de garantir un développement durable et respectueux des valeurs de proximité.

Il est essentiel que les financeurs, les associations et les collectivités territoriales s’engagent dans une démarche d’amélioration continue des AAP, pour qu’ils deviennent de véritables outils au service du développement social et territorial. Comme le disait Albert Schweitzer : « L’exemple n’est pas la principale façon d’influencer les autres, c’est la seule ». Inspirons-nous des bonnes pratiques et construisons ensemble un avenir où les associations locales pourront pleinement jouer leur rôle de créatrices de lien social et d’actrices du développement local.